La transition écologique

ISSU DU MAG DE DÉCEMBRE 2023 _ Auteur Fred PORCEL

Si je devais noter les noms de celles et ceux qui parlent de réchauffement climatique ou d’écologie, je pourrais écrire une encyclopédie. Si je devais lister ceux qui agissent, j’aurais du mal à remplir le sommaire.

Malgré les évènements « cataclysmatiques » qui s’intensifient, une majorité de citoyennes et de citoyens ne se sent toujours pas concernée. Pire, le climato-scepticisme serait en hausse(1). Chacun vit sa vie, émettant ses dix à vingt tonnes de CO2 par an quand l’Accord de Paris, fondé sur les recommandations du Giec, fixe un objectif soutenable de deux tonnes maximum. Parmi les motifs invoqués pour expliquer ce désintérêt, outre l’égoïsme ordinaire, il y aurait une prétendue inefficacité des gestes écologiques individuels. Est-ce le cas ? Le colibri aurait-il du plomb dans l’aile ?

LES GESTES ÉCOLOGIQUES INDIVIDUELS SONT-ILS EFFICACES ?

La question mérite d’être posée. Au contraire, sont-ils contre-productifs, mobilisant une énergie qui serait plus utile dans des actions collectives ? Voire, sont-ils justes, au sens où chaque citoyen aurait le devoir, ou pas, de protéger l’environnement pour les générations suivantes ?

Concernant l’évaluation de l’impact des gestes écologiques individuels, plusieurs études existent. L’une des plus complètes(2) conclut à une réduction des émissions de CO2 par personne allant de 20 à 45 %, dont la moitié dépend de l’adoption d’un régime végétarien. C’est tout sauf anecdotique et bat en brèche une prétendue inutilité des gestes individuels.

Par ailleurs, ceux-ci ont également des impacts indirects :
1/ l’incitation : l’exemple des autres est motivant, notamment quand il vient de personnes appartenant au même groupe social. D’autant qu’il n’est pas nécessaire qu’une majorité agisse, plusieurs études suggèrent que des points de bascule existent (autour d’un quart de la population concernée) pour diffuser la démarche en incitant à la réflexion, au dialogue, en montrant que c’est possible.

2/ l’action collective : loin d’éloigner d’un engagement collectif en pompant dans une capacité finie d’engagement personnel, les actions individuelles auraient tendance à encourager l’action citoyenne collective et non à la restreindre.

NOS ÉMISSIONS INDIVIDUELLES ONT-ELLES UN IMPACT RÉEL ?
Autrement dit, à notre échelle personnelle, les dix à vingt tonnes de CO2 que chaque occidental émet en une année – sur les quarante milliards émises par l’humanité – causent-elles réellement du tort à autrui ?

Quelques études tentent d’y répondre, prenant pour base les émissions individuelles de CO2 calculées sur une vie entière et les conséquences attendues d’un réchauffement de deux degrés à la fin du siècle. À deux degrés, le nombre de victimes du réchauffement est évalué dans une fourchette allant de 300 millions à 3 milliards d’individus(3). Selon Parncutt par exemple(4), par ses émissions de CO2 au cours de sa vie, un Américain (20 t/an) causera la souffrance ou la mort d’une à deux personnes. Avec 12 tonnes, un Français causera la souffrance ou la mort d’une demie à une personne.

Selon ces études, par le CO2 que nous envoyons dans l’atmosphère, nous avons donc la responsabilité individuelle de choisir de causer, ou pas, la souffrance et/ou la mort d’une à deux personnes au cours de notre vie.

Comme à son habitude, Homo Conso regarde ailleurs. Ce ne sera pas toujours facile, les victimes n’habiteront pas à l’autre bout du monde, mais de plus en plus à l’autre bout de sa rue, de son palier, de son canapé. À cet égard, les plus jeunes, pour lesquels nombre de pédiatres alertent sur l’état de “dépression climatique” croissant dont ils souffrent, prennent peu à peu conscience que la cause en est moins le réchauffement lui-même que leurs parents qui, chaque jour, sous leurs yeux, ne font rien.

DERNIER ARGUMENT CONTRE LES GESTES ÉCOLOGIQUES INDIVIDUELS
On pourrait avancer que polluer ne cause pas de tort réel car le réchauffement est déjà en cours. Dit autrement : pourquoi ne pas polluer puisque, de toute façon, on est cuit ? Sauf que, d’une part, c’est décider d’écourter la vie des autres en leur imposant ses choix personnels. D’autre part, l’amplitude et les dégâts du réchauffement sont aggravés par chaque kilo de CO2 ajouté dans une atmosphère déjà saturée. Il n’y a pas de « c’est trop tard », les effets du réchauffement peuvent toujours être limités, ou retardés.

Les gestes écologiques individuels ont des effets importants, directs et indirects, insuffisants toutefois pour atteindre l’objectif vivable de deux tonnes de CO2 par an et par personne. Pour parvenir à celui-ci, sous réserve que l’on décide d’arrêter de ne penser qu’à soi, une partie de notre impact carbone personnel ne dépend pas de nous. États, entreprises, collectivités doivent prendre en charge le reste. C’est le cas, le sujet avance. Des innovations, des évolutions, des projets… C’est encourageant, mais toujours insuffisant, notamment de la part de politiques au service de leur carrière et des intérêts de leurs commanditaires, pas de ceux des citoyennes et des citoyens qui seraient bien inspirés de se réveiller enfin pour prendre leur destin climatique en main.

Pour paraphraser le président Kennedy dans son discours d’investiture en 1961 : « Ne vous demandez pas ce que votre planète peut faire pour vous, mais demandez-vous ce que vous pouvez faire pour votre planète. »

Vos questions ou réactions à : lemag@unsa-ferroviaire.org

Cet article s’appuie notamment sur le travail de Maxime Lambrecht, enseignant-chercheur en éthique à l’UCL de Louvain, Belgique.
Sa chaîne YouTube ici.


1 Face aux faits qui s’accumulent et s’aggravent, ses adeptes sont seulement plus bruyants, relayés par des médias et réseaux sociaux dont le modèle économique est de propager sans jamais les vérifier des positions clivantes et addictives..

2 Rapport Carbone 4 « Faire sa part », 2019.

3 Au rythme de l’inaction globale actuelle, le réchauffement tend plutôt vers 4 degrés, démultipliant les impacts climatiques et leurs conséquences sur
l’habitabilité de la planète.

4 Human Cost of Anthropogenic Global Warming: Semi-Quantitative Prediction and the 1,000-Tonne Rule”.