La transition écologique
EXTRAIT DU MAG DE SEPTEMBRE 2022 – Auteur Fred PORCEL
La plupart de nos sociétés humaines se sont bâties sur des rapports de force. Le plus adapté, le plus malin, le plus retors, le plus riche élimine le plus faible. Ou le réduit en esclavage.
Parfois, il arrive que la situation atteigne un point de non-retour. Quand Goliath devient vraiment trop fort, David aura beau s’escrimer : rien ne changera. Essayez aujourd’hui de développer un réseau social, un moteur de recherche ou un site de commerce en ligne de taille mondiale. Bon courage.
LES DINOSAURES S’ÉTEIGNENT, ENCORE
Pour que le statu quo entre oppresseur et opprimé ait une chance de se modifier, il faut un évènement extérieur incontrôlable. Un cataclysme. Une météorite tombant sur le Yucatán éradiquant les dinosaures qui règnent sans partage depuis 160 millions d’années. Un Sherman antitrust Act pour démanteler en 1914 la toute puissante Standard Oil et permettre la naissance d’entreprises pétrolières concurrentes. Des lois pour obliger les mâles à rendre sa place dans les lieux de pouvoir à la moitié de l’humanité. Un vote au Parlement européen pour fixer la fin des ventes de véhicules neufs diesel et essence à 2035.
LA FIN D’UNE IDOLE
Inutile d’en détailler les contours, d’y voir le verre à moitié vide ou plein. C’est un symbole. Et quel symbole ! La voiture incarne quasiment à elle seule l’histoire du 20e siècle dans l’imaginaire collectif des sociétés modernes occidentales. Modèle sociétal devenu l’alpha et l’oméga du développement que le reste du monde ne cesse de regarder, rêvant de le copier, le dépasser ou le détruire. La liberté, l’aventure, les voyages, les congés payés, la Ford-T, la 4 chevaux, la Cox, les Valseuses…
D’un autre côté, elle en incarne aussi les dérives : de riches parasites qui collectionnent les modèles de luxe dans lesquels ils ne mettront jamais les pieds, pendant que la majorité des citoyens travaille toute une vie pour payer une 308 à crédit, les villes devenant après-guerre des aspirateurs à voitures, les pollutions des mégapoles, les défigurations de territoires visibles depuis l’espace…
Une fois l’émerveillement passé – il aura quand même duré plus d’un siècle – la voiture a fini par devenir pour nos sociétés modernes le symbole de leurs excès : compétition à outrance, inégalités, égoïsme, pollution, destruction de tout ce qu’elle touche pourvu qu’elle puisse continuer à rouler. C’est donc terminé. En Europe pour le moment, mais il y a fort à parier que d’autres pays suivront. L’industrie automobile est mondiale, aucun constructeur n’a les moyens de soutenir deux filières aussi dissemblables que l’électrique et le thermique. Quand on les regarde de près, seule l’apparence les rapproche, tout le reste les éloigne.
Alors « Le recyclage des batteries, ça me préoccupe. L’avenir, c’est l’hydrogène. Le problème, c’est l’autonomie »… sans oublier les « études récentes » qui démontrent que l’auto électrique est une catastrophe écologique : infos tronquées, biaisées, jamais sourcées, aussi caricaturales que les jugements définitifs qui les accompagnent sur les écolos. Mérités, il faut bien le dire, puisque ceux-là sont tous des bobos privilégiés, immatures et superficiels.
Ah bon ? Que faire alors du polytechnicien Jancovici ? Des appels pour le climat de scientifiques de premier plan ? Des rapports du GIEC fondés sur des milliers d’études publiées dans des revues à comité de lecture, prenant en compte des dizaines de milliers de commentaires de scientifiques, tous a minima enseignants chercheurs ou doctorants dans des spécialités que les contempteurs des écolos ne savent pas écrire correctement.
Ces divergences de vue s’expliquent facilement : les écolos relaient les recommandations de scientifiques experts dans leurs domaines, quand les anti écolos relaient des brèves de comptoir. Les seconds veulent conserver leur confort et leurs habitudes, les premiers veulent sauver leur peau. S’ils y parviennent, ils sauveront aussi celle des anti. Dommage collatéral.
Bref, côté voiture individuelle, ce sera électrique pour tout le monde. En espérant qu’une partie des utilisateurs, la plus large possible, remplacera ce mode de transport surdimensionné dans 80% de ses usages, quelle que soit sa propulsion, par une mobilité plus douce : des pieds, une trottinette, un bi ou tricycle, les transports en commun, un mélange de tout ça.
Bon, reste à régler la question de l’avenir d’EDF que les néolibéraux ont patiemment détruit, comme ils l’ont fait avec l’hôpital public, les médias indépendants, bientôt l’éducation, pour en brader les meilleurs morceaux aux amis du privé et laisser les dettes aux citoyens.
CHRONIQUE D’UNE MORT ANNONCÉE
Expression usée jusqu’à la corde, la sixième extinction est en marche. On peut toutefois espérer qu’il ne s’agira pas cette fois de l’humanité toute entière, seulement de sa dernière version, la prédatrice du 20e siècle qui a érigé en valeurs absolues l’argent, le pouvoir, l’entre-soi, l’arrogance, l’égoïsme, la soumission, l’exploitation, le patriarcat, la domination de la nature, de l’autre, de tout.
Déjà fragilisé par l’affairisme (sauf en France où il n’est pas nécessaire d’être exemplaire pour faire carrière en politique) les inégalités, les violences contre les citoyens, les crises à répétition financières, sanitaires, environnementales… avec la fin annoncée de son icône historique, le monde d’avant vient de mettre un genou à terre.
C’est la fin d’un modèle, celui du pétrole abondant et pas cher. Nos modes de vie vont changer. Car si le remplacement de toutes les thermiques par des électriques n’est ni souhaitable, ni probable compte tenu des ressources nécessaires, l’avènement du VE(1) ne vient pas seul, il annonce l’électrification de nos sociétés, des questionnements sur une multitude de domaines voués à se transformer, comme l’étalement urbain, les services, les transports, la possession / location, le rapport au travail, à la nature, aux autres avec lesquels il faudra partager davantage, puisque ce modèle ultra-inégalitaire ne sait qu’attiser les haines, il n’est pas tenable.
Avec la disparition des voitures à pétrole, impossible de continuer à faire comme si de rien n’était. Peut-on imaginer parcourir nos routes, nos rues, nos villes (Paris !) sans croiser de véhicules thermiques et se dire que le monde n’est pas en train de changer ? Le VE est l’arbre qui cache la forêt de la transformation de nos sociétés.
Que les inconsolables du 20e siècle se rassurent, la disparition de leur mode de vie ne sera pas un long fleuve tranquille. Ils pourront continuer à bavasser sur les écologistes responsables de toutes les misères du monde – reconnaissons que le vrai problème de l’humanité, ce ne sont pas la perte de biodiversité, les sécheresses, les canicules, les phénomènes extrêmes, le vrai problème, ce sont les écologistes – du moment qu’ils changent leurs comportements. Cela prendra du temps, trop peut-être, mais ça y est, le monde d’avant a officiellement commencé à disparaître.
Il faut espérer que le ferroviaire montera dans le train de cette révolution du transport. Que les acteurs du secteur cessent de s’autocongratuler en réunions inutiles à ânonner qu’il faut le développer parce qu’il est écologique, bla bla bla… on a compris. Qu’ils passent aux actes. Si une autre mobilité massive, durable et économique s’impose, Goliath risque de devenir invulnérable et ce sera la fin de la partie.
Vos questions ou réactions à : lemag@unsa-ferroviaire.org
1 – Véhicule électrique