et un premier hommage… des sénateurs !

Jean-Pierre Farandou

  ISSU DU MAG DE JUILLET 2024 _ Auteur Rémi AUFRERE-PRIVEL

Le PDG de la SNCF Jean-Pierre Farandou ne sera pas reconduit pour un deuxième mandat à la tête du groupe public ferroviaire, mais poursuivra sa mission pendant l’été « afin de garantir la bonne organisation des Jeux olympiques et paralympiques », a annoncé le gouvernement mardi 7 mai 2024. Après les JOP, « la présidente de l’Assemblée nationale et le président du Sénat seront saisis par le président de la République du nom du successeur envisagé de M. Jean-Pierre Farandou », qui préside le groupe depuis 2019, a détaillé le communiqué du gouvernement.

Jusqu’au dernier jour de son mandat, il continuera d’informer et de proposer des solutions pour développer le transport ferroviaire qu’il défend avec détermination.

L’annonce du gouvernement est-elle une surprise ? 

À tout le moins, une demi-surprise, car cette annonce a été précédée en mars dernier par l’information de la fin du mandat d’Augustin de Romanet (à peine 63 ans) à la tête de Groupe ADP (détenu à 50,6 % par l’État) qui ne sera pas renouvelé, juste prolongé jusqu’en septembre prochain. Comme Jean-Pierre Farandou, le président d’ADP avait exprimé son souhait d’un renouvellement. Le président du groupe public ferroviaire avait exprimé son souhait de poursuivre son mandat jusqu’en mai 2025 compte tenu de son âge (68 ans en juillet 2025). Il paraissait donc un peu contradictoire de renouveler son mandat après l’annonce sur la présidence d’ADP.

Enfin, le coup de communication politique particulièrement démagogique du ministre de l’Économie Bruno Le Maire sur le coût du récent accord social fin de carrières, en pleine campagne électorale européenne, a sans doute porté un coup fatal au souhait du président de la SNCF de poursuivre pour une dernière année.

Au demeurant, cette annonce va plutôt apparaître soudaine (voire brutale) et je ne doute pas qu’une très large majorité politique des élus nationaux des deux assemblées parlementaires (Assemblée nationale et Sénat) va se positionner en mode regret de ne pas avoir prolongé son mandat jusqu’en mai 2025. Cette décision ne sera pas positive pour le gouvernement ni la présidence de la République.

Le président de SNCF convoqué à Bercy

Ministère du budget – Bercy

Le ministre de l’Économie a décidé de « convoquer » le président de la SNCF pour qu’il justifie cet accord (qu’il juge « provoquant ») conclu avec l’unanimité des syndicats représentatifs de la SNCF. Que peut-on en penser ?

Tout d’abord, il faut rétablir les faits : il n’existe pas d’opacité. Le ministre de l’Économie est représenté au conseil d’administration du groupe SNCF par un inspecteur général des Finances. Le ministre des Transports est représenté par le directeur de la DGITM. L’État était donc, en amont, parfaitement informé de cet accord, qui a fait l’objet d’une campagne de désinformation particulièrement démagogique. Manœuvre ayant aussi pour objet de dissimuler les errements et les graves incompétences d’un ministre de l’Économie (depuis sept ans) qui vient de découvrir un déficit public d’au moins 20 milliards d’euros dans les comptes publics qu’il gère. La manipulation est suffisamment grossière pour être remarquée et dénoncée comme telle.

Ensuite, cet accord n’engage ni les équilibres de la réforme des retraites de 2023 ni les équilibres financiers de la SNCF, contrairement à ce qu’à affirmé le ministre de l’Économie. Cet accord signé par tous les syndicats, « ce n’est pas Noël en avril ! ». Il est d’abord et avant tout marqué par le pragmatisme.

Le président du groupe public ferroviaire avait exprimé son souhait de poursuivre son mandat jusqu’en mai 2025 compte tenu de son âge (68 ans en juillet 2025).

Le vrai / faux coût de cet accord

Les reproches formulés contre cet accord interne à la SNCF sont le coût, « l’achat de la paix sociale » avant les JOP 2024 et une stratégie de « contournement voire d’effacement » des effets de la dernière loi allongeant la durée de vie au travail de tous les salariés. Précisons que l’État avait garanti à la SNCF la possibilité de négocier un accord fin de carrière à l’issue de l’adoption (par le 49-3) de la loi d’allongement de la durée du travail. Il faut se souvenir qu’il y a près de deux décennies, les cheminots de la SNCF statutaires partaient « obligatoirement » en retraite lorsqu’ils satisfaisaient à la condition de l’âge de 55 ans (50 ans pour un conducteur), un minimum de cotisation au régime spécial de 25 annuités et percevaient une pension pleine et entière (75 %) après 37,5 annuités de cotisations au régime. Or les différentes réformes des retraites ont repoussé l’âge réel de départ en retraite des cheminots de la SNCF : 54-55 ans pour les conducteurs et aux alentours de 59-61 ans pour les salariés sédentaires.

Le défi de la SNCF actuelle est le vieillissement de sa population active par la prolongation de la vie au travail et la transmission des savoirs et compétences. Et pour cela, en 2023, le gouvernement (par la voix de Matignon) a demandé au président de la SNCF d’engager de nouvelles négociations pour assurer l’allongement des carrières professionnelles avec la prise en compte de la pénibilité.

Quant au coût total de cet accord, il est de 35 millions d’euros annuels : 20 millions pour la création d’échelons d’ancienneté supplémentaires et des positions de rémunérations, ainsi qu’un volet « cessation progressive » pour 15 millions d’euros. Ce qui semble surprendre est le fait « d’offrir » une formule unique : 50 % période travaillée à temps complet et seconde période rémunérée à 75 % pour rester chez soi. Rien d’étonnant : la complexité et la réalité de la production ferroviaire ne peuvent être efficaces ni réalisables avec des temps partiels trop importants pour des métiers dits « essentiels ».

Au final, le « prix » de cet accord est de 0,35 % de la masse salariale. Il est payable par les comptes de l’entreprise et ne sera pas réglé par le voyageur ou le client, ni par l’argent public de l’État et/ou des collectivités locales. Et cela concerne 91 000 salariés (avec des pénibilités reconnues). Sans omettre le défi des 42 000 cheminots SNCF qui sont âgés de 50 ans ou plus. « Quand le sage montre la lune, le fou regarde le doigt » semble s’appliquer à la situation du ferroviaire français et de la SNCF… sans vouloir résoudre l’équation financière.

La vérité est ailleurs

Sénat – Jardin du Luxembourg

La SNCF a prouvé qu’elle est une entreprise publique capable de transformations. Le point le plus douloureux demeure l’investissement dans l’infrastructure ferroviaire, car l’essentiel des dysfonctionnements réside dans le réseau. Plus de 3 000 kilomètres de voies ferrées ont vu leurs vitesses maximales réduites (entre 10 et 30 %). Sur celles-ci, les voyageurs circulent beaucoup moins vite que dans les années 80 ! Ajoutons que, dès 2014, le ministre du Budget (futur président) envisageait la fermeture des lignes classées UIC 7 à 9 (près de 45 % du réseau) ou leur transfert aux régions.

Le réseau TGV a été développé depuis trois décennies en majeure partie (90 %) sur les fonds de la SNCF. Le réseau ferré français est l’un des plus vieux d’Europe et le plus mal financé. Le président de la SNCF a précisé la nécessité d’investir 100 milliards sur dix ans et cela avait été confirmé par Élisabeth Borne. Il manque une quinzaine de milliards. Sur les 100 milliards, 70 % relèvent des SERM et des LGV qui ne proviendront pas de la SNCF. Par contre, les 30 % restants doivent être concentrés sur la régénération du réseau, sous-entretenu depuis plus de 30 ans. L’équation financière, c’est 4,5 milliards par an et il manque 1,5 milliard par an (a minima sur dix ans).

Un satisfecit… des sénateurs

Sénat : hémicycle et tribune

Le président du groupe public SNCF s’est longuement exprimé en audition auprès de la Commission du développement durable du Sénat le 7 mai 2024. Comme à son habitude, il s’est montré précis et engagé dans sa mission professionnelle.

Que retenir de ce moment qui survient à quelques heures de l’annonce de son départ décidé par Matignon et l’Élysée ? Les sénateurs qui se sont exprimés ont tous indiqué leurs regrets, voire leurs critiques à l’égard de l’annonce gouvernementale. Jean-Pierre Farandou a parlé comme à son habitude en professionnel qu’il a toujours été, avec une connaissance remarquable des systèmes, des questions budgétaires et sociales, des dysfonctionnements d’infrastructure et de production. Le reflet du cheminot qu’il est depuis… 1981.

Avec le corps social cheminot de la SNCF, il lui reste à « réussir » les JOP 2024. Et probablement jusqu’au dernier jour de son mandat, il continuera d’informer et de proposer des idées et solutions pour développer le transport ferroviaire qu’il défend avec détermination. En continuant ainsi, il s’inscrit dans les pas d’un Jacques Fournier et d’un Louis Gallois, serviteurs de l’État et du service public. Malgré les différences et divergences logiques avec les syndicats, il a mené un dialogue social sincère et respectueux.

Le moment n’est pas encore à l’hommage, mais nul doute qu’il sera particulièrement difficile pour celle ou celui qui lui succédera de continuer à « parler cheminot 1re langue » dans la période de transformation historique du groupe ferroviaire SNCF, emblème national du service public républicain.

Avec le corps social cheminot de la SNCF, il lui reste à « réussir » les JOP 2024.